Ce papier sommaire vient à la suite de la dernière publication de Charles Ateba Eyene (C.A.E.). Nous soulignons a priori que nous n’avons pas (encore) lu cet ouvrage. Nos « réflexions » partent donc uniquement des interventions de l’auteur sur les médias (TVs, radios, presse écrite, etc.). Notre objectif est juste de susciter un « écho » autour des affirmations de l’auteur et sur les théories en vogue dans notre pays. Loin de nous la volonté de défendre tel ou tel groupe, telle ou telle loge ou idéologie, telle ou telle pratique ou encore des comportements qui, au demeurant,  peuvent être considérés comme des déviances, du point de vue de la morale.

Premièrement, avant d’entrer dans le fond du débat, commençons par une idée rependue. Il est de plus en plus courant au Cameroun d’attendre des affirmations du genre : « Pour réussir sa vie il faut être membre d’une loge ésotérique ou être homosexuel ». Cette affirmation n’est pas loin de ce que dit C.A.E. Les mêmes défenseurs de cette thèse nous disent que les loges et l’homosexualité, entre autres déviances, sont des abominations. Si c’est le cas, on ne peut donc pas affirmer que ceux qui y adhérent ou pratiquent ce que C.A.E. appelle le magico-anal ont réussi leur vie, puisqu’il s’agit d’abomination et une abomination est une répulsion qui se situe aux antipodes de la réussite.  Ceci nous amène donc à nous poser la question de savoir ce que c’est que réussir sa vie. En mettant en avant la « réussite » des hauts commis de l’Etat (ministres, DG des sociétés, hauts fonctionnaires, généraux, etc.), on finit par faire croire à la population camerounaise en général et aux jeunes en particulier que réussir sa vie, c’est être à la tête d’un département ministériel ou à la tête d’une société parapublique ou encore être un haut fonctionnaire, comme on les appelle. Ce qui est loin d’être vrai. Il y a de nombreux Camerounais qui ont réussi leur vie et qui sont des modestes fonctionnaires, des commerçants, des avocats ou encore des agriculteurs. Pourquoi tous ces gens sont ignorés ? Pourquoi on se focalise sur une infime minorité de Camerounais, qui occupent des postes de responsabilités ? Ces gens sont-ils représentatifs de l’ensemble de la population camerounaise ? Nous ne le pensons pas. En pensant faire une critique de la société camerounaise, de plus en plus attachée au pouvoir de l’argent, C.A.E fait involontairement la promotion de celle-ci. Pourquoi toujours mettre en avant les recrutements à la SONARA ou à la SNH, comme il le fait ? La réponse est simple : ces entreprises sont celles où les employés touchent des salaires très confortables, du moins c’est cette idée qui est ancrée dans les imaginaires. Sont-elles pour autant le symbole de la société camerounaise ? S’il est légitime et même encourageant de souligner que telle ou telle pratique n’est pas normale, au sens de légitime, il est cependant maladroit de faire comme si toute la société camerounaise fonctione avec et dans des logiques mafieuses. On finit ainsi par noyer dans la boue les efforts et le travail de millions de Camerounais qui servent au quotidien dignement et courageusement leur pays (professeurs de lycée, policiers, militaires à Bakassi ou à Garoua Boulaï, infirmiers, taximen, bayam-sallam, etc.).  

Par ailleurs, si C.A.E. affirme « qu’ailleurs, sous d’autres cieux, les sectes bâtissent les nations » (STV2), comment peut-il affirmer qu’au Cameroun, ce sont celles-ci qui sont la cause du marasme actuel. Le fait qu’elles « bâtissent » ailleurs, comme il l’affirme, voudrait dire qu’en soi elles ne sont pas anti-progressistes ; elles ne portent donc pas en elles une essence qui favoriserait le sous-développement, (nous n’en savons rien, soit disant en passant). Dans ce cas de figure et sur quelle base adjective peut-il affirmer qu’elles sont la cause du sous-développement de notre pays. Pour affirmer que les loges ésotériques sont la cause du sous-développement du Cameroun, il faudrait au préalable mener une étude sérieuse sur les causes profondes de ce sous-développement et ce n’est qu’une fois cette étude faite qu’on peut tirer une telle conclusion.  Or, une telle étude n’a pas été menée. Si cet ouvrage était un roman, on comprendrait de telles affirmations, mais l’ouvrage se veut une œuvre scientifique.

A force de marteler aux jeunes que tous ceux qui réussissent leur vie sont dans des loges ou sont des homosexuels, on finit par tétaniser leurs ardeurs, d’une part, et paradoxalement à amener d’autres à adhérer à des « cercles obscurs », d’autre part. Les premiers vont développer une attitude défaitiste en intégrant dans leur imaginaire la logique selon laquelle la réussite passe forcément par des « accommodements incestueux ». Ils vont donc se recroqueviller et s’empêcher toute initiative, tout en jalousant et haïssant ceux qui réussissent. Les seconds, développant la même attitude, vont chercher à adhérer à ces cercles. Ces deux attitudes sont toutes de nature à empêcher le développement. Nous pensons qu’en toute chose il faut éviter des généralisations abusives et des raccourcis dans l’analyse. Les loges ésotériques et les pratiques magico-religieuses ne sont pas une invention contemporaine encore moins camerounaise. Il y a eu des loges, il y en aura toujours, mais de là à penser que quelques individus sont capables de prendre en otage une nation comme la nôtre (peuplée de femmes et d’hommes d’une grande intelligente et doués de beaucoup de courage) est une contre vérité et même, c’est prendre les Camerounais pour des sous-hommes influençables à la moindre proposition. 

En outre, aucune enquête sérieuse ne prouve que le Cameroun enregistre aujourd’hui plus de catastrophes, de crimes magico-religieux ou d’assassinats  qu’au cours des dernières années ou des dernières décennies, comme il l’affirme. Les affirmations du genre « les inondations dans le Grand nord sont la preuve que Dieu est fâché » ne sont que de simples hypothèses (insolites) de réflexion qui ne sauraient en aucun cas être considérées comme des vérités. Si on admet comme vérité une telle affirmation, on serait tenté logiquement d’affirmer que c’est dans cette partie du pays que se trouvent donc les individus les plus susceptibles d’être châtiés par Dieu. Puisque c’est par là qu’il a commencé à noyer ses brebis (égarées). On est là dans des affabulations et des inepties sorties de la fertilité de l’imagination de certains. Le Sénégal qui est souvent cité comme un model de gestion et de démocratie a connu des inondations cette même année. On peut légitiment condamner les imprévisions des pouvoirs publics. Car avant ces inondations, les services météo avaient clairement indiqués que le Nord du Cameroun et une partie de l’Afrique de l’Ouest seraient sous la menace d’une pluviométrie abondante. Mais de là à conclure que cela est le signe d’une malédiction ou de la colère de Dieu est, de mon point de vue, une erreur de jugement.  

Arrêtons-nous à la fin de notre propos sur le titre de son ouvrage « Le Cameroun sous la dictature des loges, des sectes, du magico-anal et des réseaux mafieux ». C.A.E., qui connait le poids, le sens et la puissance des mots, puisqu’il est communicateur (politique) et enseignant (Université de Yaoundé II), n’a pas peut être pris du recul avant de choisir ce titre. Parler du Cameroun comme étant « sous la dictature des loges… » est exagéré, pour ne pas dire faux. La dictature, comme nous le savons, est un régime politique (ou autre régime s’il faut extrapoler)  totalitaire, établi et maintenu par la violence, dans lequel un homme ou un groupe détiennent un pouvoir absolu. Partant de cette définition, peut-on dire que les loges, les sectes, le magico-anal et les réseaux mafieux, détiennent un pouvoirabsoluau Cameroun. Combien de Camerounais, sur les 20 millions d’individus que compte notre pays, sont membres de loges ? Combien en ont-ils étaient des victimes ? Combien sont-ils des homosexuels ? Combien sont-ils impliqués dans des réseaux mafieux ou subissent-ils ces réseaux, combien ont-ils été obligés d’y adhérer, Etc. Une infime minorité qui ne s’aurait être représentative, une fois de plus, de l’ensemble de la population camerounaise. Nous savons qu’une minorité statistique peut constituer une majorité sociologique, mais dans le cas d’espèce, c’est loin d’être le cas. Loin d’être le cas, car il affirme lui-même qu’il a été contacté pour adhérer à la Franc-maçonnerie et a  toujours décliné l’offre. Cela n’aurait pas été le cas dans une dictature de loges : ici priment la contrainte et le pouvoir de ceux qui ont l’initiative, la minorité. Il est donc urgent qu’on arrête de prendre en otage les Camerounais et les noyer dans des généralisations abusives.  

Un de mes collègues a affirmé récemment que pour lui C.A.E. est l’un des esprits les plus brillants du Comité central du RDPC. Je pense que lui-même partage ce point de vue. Avec une pointe d’humour et une fois qu’on a lu ou écouté notre compatriote, on peut légitiment se poser la question de savoir si la cause du marasme économique et social de notre pays ne vient pas justement de ce comité central. Car, que diraient ou écriraient les esprits les moins brillants de cette instance politique et essentielle de notre pays. Les causes du sous-développement du Cameroun sont donc peut être à rechercher ailleurs que dans les épouvantails que certains se plaisent à brandir et qui créent une psychose dans les esprits des moins aguerris et fragiles. Si oujourd'hui le statut des jeunes est si fragilisé, c'est parce qu'on les assigne en permanence à une problèmatique victimaire au lieu de les associer à un horizon émancipateur. le principal enseignement de cette affaire, c'est l'urgence de rallumer les Lumières et d'"écraser l'infame".